Anvil Mining et le massacre de Kilwa en République Démocratique du Congo : une compagnie canadienne impliquée ?

En réponse au reportage diffusé à l'émission "Four Corners" de la station de télévision ABC d'Australie, lundi le 6 juin dernier(i), des organisations non gouvernementales de Grande Bretagne, de la République Démocratique du Congo (RDC) et du Canada réclament du gouvernement du Canada la tenue d'une enquête sur les allégations suivant lesquelles Anvil Mining aurait accordé son aide aux Forces armées congolaises qui ont fait usage, selon ce qu'on a rapporté, d'une force disproportionnée pour réprimer une rébellion d'ampleur réduite à Kilwa, une ville isolée du Congo.

L'organisation britannique Rights & Accountability in Development (RAID)(ii) et les associations de droits de la personne congolaises l'Action contre l'impunité pour les droits humains (ACIDH) et l'Association africaine de défense des droits humains (ASADHO section Katanga) ont reçu au Canada l'appui de l'Entraide missionnaire, Mines Alerte Canada, le Regroupement pour la responsabilité sociale des entreprises et Africafiles pour réclamer une telle enquête.

En octobre 2004, selon les récits de témoins oculaires recueillis par des juristes en droits humains, les Forces armées de la République Démocratique du Congo (FARDC) auraient étouffé de manière impitoyable, dans la localité isolée de Kilwa(iii), un soulèvement de faible envergure par un groupe jusque là inconnu, le Mouvement révolutionnaire pour la libération du Katanga (MRLK). Bien que les rebelles n'aient pas résisté à l'arrivée des soldats de la 62e brigade de la 6e région militaire pour reprendre la ville, entre 70 et 100 personnes auraient été tuées, en majorité des civils sans armes dont des femmes et des enfants. On a rapporté que les soldats se seraient adonnés à un saccage irraisonné, procédant à des arrestations arbitraires, à l'assassinat sommaire de suspects rebelles et de leurs supporters, au mauvais traitement et à la torture de détenus(iv).

Anvil Mining Limited est une entreprise canadienne incorporée dans les Territoires du Nord Ouest en janvier 2004 et inscrite à la Bourse de Toronto depuis juin 2004 (TSX:AVM). First Quantum Minerals, une entreprise canadienne inscrite également à la Bourse de Toronto (TSX:FQM)(vi), était au moment des événements l'actionnaire principal de Anvil Mining avec 18,6% des actions. Son représentant a occupé le poste de président du conseil d'administration jusqu'en mars 2005. La compagnie Anvil Mining qui mène des opérations à la mine de Dikulushi, voisine de Kilwa, a admis avoir fourni, à leur demande, un support logistique aux troupes gouvernementales. Comme la ville est difficilement accessible par route, les avions d'Anvil ont servi au transport de soldats depuis la capitale provinciale, Lubumbashi. À la fin du mois de mai 2005, des avocats mandatés par RAID, ont interviewé des survivants. D'après ceux-ci Anvil aurait aussi fourni des véhicules pour appuyer l'attaque militaire contre la ville; ces véhicules auraient également servi à transporter les personnes arrêtées et à enlever des cadavres après l'opération militaire. Anvil nie avoir été mise au courant des plans de l'opération militaire ou d'y avoir été impliquée de quelque façon que ce soit. Cependant, les organisations qui réclament une enquête sont convaincues que les entreprises ayant des activités en zones de conflit ont la responsabilité de s'assurer que leurs propres opérations ou celles qu'elles appuient ne résultent pas, directement ou indirectement, en violation de droits de la personne(v).

Dans ces circonstances, le rôle joué par Anvil dans le massacre de Kilwa justifie assurément une enquête. Les organisations signataires rappellent que la plupart des gouvernements s'étaient abstenus de poursuivre les enquêtes sur les allégations avancées par les Nations Unies au sujet des agissements de leurs entreprises nationales dans leurs opérations en RDC au cours d'une guerre alimentée par l'exploitation illicite des ressources naturelles(vi). Elles affirment aujourd'hui que des mesures doivent résolument être prises pour mettre un frein à toutes possibilités d'actions ou de négligences par certaines entreprises qui pourraient contribuer à la reprise de la guerre au Congo.

Les organisations canadiennes qui appuient ces demandes réclament particulièrement que :

- le gouvernement du Canada mène une enquête complète sur les faits rapportés. S'ils sont vérifiés, les éventuels responsables devraient être poursuivis selon les lois canadiennes ou internationales. Le Point de contact national (PCN) du Canada pour les Principes directeurs de l'OCDE, composé de représentants de différents ministères, devrait être mandaté pour mener cette enquête, avec la contribution des ONG;

- la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario et la Bourse de Toronto, devraient également enquêter sur ces allégations qui, si elles s'avéraient, constitueraient un risque certain pour les investisseurs canadiens;

- le premier ministre Paul Martin, lors du Sommet du G8 en juillet prochain, devrait plaider pour l'adoption de la recommandation contenue dans le Rapport sur l'Afrique, cosigné par le ministre des Finances Ralph Goodale, en ce qui a trait à la paix et à la sécurité : "les pays de l'OCDE devraient inclure dans les Principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises multinationales, des directives précises, détaillées et exécutoires pour les entreprises ayant des opérations dans des zones à risque de conflits violents".(vii)

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Pour renseignements complémentaires :
- Mines Alerte Canada : Jamie Kneen, tél (613) 761-2273 (cel)
- Entraide Missionnaire : Denis Tougas, tél (514) 270-6089

Note pour les médias

Sally Neighbour, la réalisatrice de l'émission Four Corners de Australian Broadcasting Company, sur le massacre de Kilwa et Anvil Mining, sera heureuse de fournir aux médias intéressés des images du reportage pour accompagner d'éventuels articles. Tél. (02) 8333-4750; Fax (02) 8333-4755. Courriel : [email protected]

i Consulter : http://www.abc.net.au/4corners/content/2005/s1384238.htm

ii RAID est une organisation non gouvernementale de recherche et de plaidoyer qui étudie les liens entre les droits humains, le développement et les affaires. Elle coordonne le réseau international d'ONG, OECD Watch, qui promeut la responsabilité des entreprises par l'application effective des Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales. Patricia Feeny, la directrice, agit aussi à titre de modératrice du serveur de liste sur la responsabilité des entreprises pour le Réseau international sur les droits économiques, sociaux et culturels. En juin 2004, RAID a produit le rapport «Unanswered Questions : Companies, conflict and the Democratic Republic of Congo» qui analysait les allégations du Groupe d'experts des Nations Unies à l'encontre de 40 entreprises de pays de l'OCDE.

iii Kilwa est située sur la rive du lac Moero, en territoire de Pweto dans le Haut Katanga, à 50 km de la Zambie et à 350 km de Lubumbashi. Sa population de 6 000 habitants vit surtout de la pêche.

iv ASADHO Katanga : Rapport sur les violations des droits de l'homme commises à Kilwa au mois d'octobre 2004 . Janvier 2005

v Ce principe a été reconnu également par le Pacte Mondial de l'ONU : Principe 1 : Les entreprises doivent promouvoir et respecter les droits de l'homme reconnus sur le plan international; principe 2 : Les entreprises ne doivent pas se faire complices de violations des droits fondamentaux.

vi Rapport du Groupe d'experts sur l'exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesses en RDC. Octobre 2002 (S/2002/1146) et octobre 2003 (S/2003/1027) disponibles sur : http://www.un.org/Docs/sc/letters/2002/sglet02.htm et http://www.un.org/Docs/sc/unsc_presandsg_letters03.html

vii Rapport de la Commission pour l'Afrique - Dans l'intérêt de tous, 2005, p. 174.