Billet de blog

Exploitation minière verte ou blanchiment écologique ? La responsabilité sociale des entreprises et le secteur minier au Canada

[On a écrit cet article pour la publication dans la revue En Question. Vous trouverez les references plus completes dans la versionne anglaise.]

Le Canada est un acteur mondial dans le secteur minier, un des principaux producteurs de produits comme la potasse, les minerais de fer, le charbon, l’uranium, le nickel, le cuivre, l’or et les diamants. Le secteur constitue une part significative du marché boursier canadien et occupe une place de premier plan dans le monde politique aux niveaux local, régional et national. Alors que certaines collectivités locales sont largement tributaires de l’industrie, l’exploitation minière représente moins de 3% du PIB canadien (y compris le traitement des métaux et la fabrication préliminaire). La contribution économique nationale de l’industrie est souvent exagérée par les promoteurs et les gouvernements qui utilisent les statistiques de façon sélective. Au niveau international, le Canada joue également un rôle important en tant que siège de nombreuses entreprises d’exploration (dites entreprises junior), ainsi que de quelques-unes des plus grandes compagnies minières mondiales et comme centre de financement de capital de risque utilisé pour financer l’exploration minérale.

Une critique publique cohérente de l’industrie minière concernant les questions environnementales et sociales au Canada et à l’étranger l’ont poussée à répondre de façon pro-active à ces préoccupations. Une grande partie de cet effort est emballé dans l’expression « responsabilité sociale des entreprises » (RSE). Bien que certaines définitions de la RSE sont très larges, pour nos objectifs, nous la définissons comme l’ensemble des efforts entrepris pour rendre l’extraction des ressources plus acceptables grâce à des actions volontaires et non-réglementées mises en œuvre par les sociétés minières qui (1) fournissent des prestations philanthropiques aux communautés affectées par leurs projets et à la société en général et (2) élaborent et mettent en œuvre des ‘best practices’ - ou « bonnes pratiques » - (par opposition aux règlements obligatoires) dans des domaines aussi divers que la fiscalité, la performance environnementale, les impacts sociaux, les droits des indigènes, les rapports et la transparence.

Le phénomène de la RSE traverse pratiquement tous les secteurs économiques, mais dans le secteur minier, sa croissance a été explosive avec une prolifération de rapports, des consultants, de conférences, d’ateliers, etc. Bien qu’une grande partie de l’accent mis sur la RSE a été comme un moyen de combler le « déficit de gouvernance » dans les pays du Sud, il y a aussi une forte culture interne de RSE au Canada portée par des associations d’industriels, comme l’Association minière du Canada et l’Association des prospecteurs et entrepreneurs, et soutenue par le gouvernement canadien. Cet article passe en revue la culture et les pratiques de RSE des sociétés minières opérant au Canada. Comme ailleurs, les initiatives en matière de RSE au Canada sont utilisées par l’industrie pour se présenter comme un « bon voisin et un bon citoyen corporatif », ainsi que pour contrecarrer les tentatives de se voir imposer des exigences contraignantes. Notre expérience montre que, même si les pratiques de RSE peuvent apporter des améliorations dans la performance et la transparence, elles servent également à occulter les questions en suspens dans le secteur et à nuire aux processus nécessaires pour développer des améliorations réglementaires obligatoires.

Les activités de RSE mises en avant par les compagnies canadiennes dans leur stratégie de communication incluent :

  • des contributions financières aux organismes de bienfaisance locaux et aux installations communautaires
  • des contributions financières à de plus grandes institutions telles que les musées, les centres d’arts du spectacle, etc.
  • des programmes de formation pour améliorer l’accès à l’emploi dans le secteur minier
  • des contributions à des institutions académiques et de recherche
  • des initiatives éducatives axées sur des groupes de jeunes pour les informer sur le secteur minier
  • la création et la participation à des initiatives volontaires de normalisation telles que Towards Sustainable Mining[1] de l’Association minière du Canada, le E3 Plus[2] de l’Association des prospecteurs et entrepreneurs du Canada et des systèmes génériques de normalisation tels que l’ISO (Organisation internationale de normalisation)
  • des rapports sur la durabilité et la responsabilité de l’entreprise et de la documentation sur les activités mise en ligne, via des communiqués de presse, etc.

Si les grandes sociétés opérant au Canada comme Barrick, Goldcorp, Potash Corp, Vale et BHP ont les programmes de RSE les plus vastes, les petites sociétés minières elles aussi incluent de plus en plus des activités de type RSE et publient des rapports, même si le montants et le profil de leurs dons financiers sont bien moindres.

La générosité des compagnies minières

La présence de Potash Corp, l’une des sociétés minières les plus importantes du Canada et le plus grand producteur mondial de potasse, dans et autour de la communauté de Sussex au Nouveau-Brunswick, est un bon exemple de la RSE de l’industrie minière et de ses réalités au Canada. Potash Corp se présente comme profondément engagée pour la durabilité et a de longues listes de prix et distinctions sur son site web, et de longs rapports à propos d’indicateurs sociaux et environnementaux. Leur rapport en ligne annonce hardiment que « dans les communautés où Potash Corp opère, nous ne croyons pas que nous avons un impact sociétal négatif ». La société déclare avoir dépensé 756.600$ en 2011 en contribution à la communauté. Les opérations de la société du Nouveau-Brunswick ont même été citées comme un bon exemple d’intégration communautaire pour le CRDI (Centre de Recherches pour le Développement International) en 2001.

Dans les communautés du centre-sud du Nouveau-Brunswick, beaucoup de citoyens ont une vision différente de l’entreprise. Pendant des années, les habitants de la communauté de Penobsquis, située au-dessus des chantiers souterrains de la mine de l’entreprise se sont battus pour que Potash Corp prenne ses responsabilités et indemnise les dommages importants affectant leurs propriétés – dont ils prétendent qu’ils sont le résultat direct des activités de la compagnie. Soixante puits individuels d’eau potable ont été perdus et remplacés d’abord par des cuves inadéquates, ensuite par un système hydrique central, payé en grande partie par la province du Nouveau-Brunswick et par les propriétaires qui ont dû acquitter des frais pour le service. Grâce à un processus d’audience coûteux et pénible, durant lequel ils étaient opposés non seulement au Goliath Potash Corp, mais aussi aux représentants de leur propre gouvernement provincial, les citoyens ont finalement conclu un accord avec l’entreprise concernant la perte de leurs puits. Aucun accord sur les affaissements présumés et les dommages importants à leurs maisons et proprietés ou sur la perte de valeur des propriétés dans la communauté n’a été obtenu. Lors d’une visite récente (par l’auteur), des citoyens locaux ont pointé avec ironie un panneau célébrant la donation par le Potash Corp d’une aire de jeux au centre communautaire local, notant que de nombreuses familles déménagent hors de la région à cause des problèmes dont ils attribuent l’origine à la mine.

Les contributions philanthropiques des sociétés minières sont destinées à renforcer une image publique positive, mais dans certains cas, elles peuvent également avoir des objectifs plus insidieux. Des contributions directes des entreprises et des dons de personnes associées à des sociétés minières aux universités et aux établissements d’enseignement public ont soulevé des inquiétudes concernant une influence excessive sur ces institutions.

Pour leur défense, les institutions disent que l’argent provenant des entreprises est nécessaire afin de continuer à offrir des services et des programmes de qualité et pour compenser les déficits de financement public. Pendant ce temps, les entreprises minières canadiennes font efficacement pression sur les gouvernements pour maintenir leur statut fiscal privilégié, font usage des paradis fiscaux, et en dépit de l’extraction de millions de dollars de minerais affirment de n’avoir pas gagner des profits dans leurs declarations des revenues. Grâce à l’accroissement de la production et au prix des minéraux, les contributions financières du secteur minier aux gouvernements canadiens ont augmenté ces dernières années. Cependant, une analyse de l’économiste du Syndicat Métallos Erin Weir montre qu’une part disproportionnée de l’expansion a disparu au bénéfice des entreprises, qui ont augmenté de plus de 736% dans la dernière décennie, tandis que les contributions aux gouvernements en taxes et redevances ont seulement augmenté de 200%.

La générosité des contributions philanthropiques des sociétés minières devrait aussi être examinée à la lumière de la rémunération très généreuse des dirigeants. Comme indiqué ci-dessous, Potash Corp a fait don de 756.000$ à des initiatives communautaires du Nouveau-Brunswick en 2011, alors qu’en même temps, la compagnie a déclaré que ses deux principaux dirigeants bénéficiaient de rémunérations totalisant 12 millions de dollars ! Potash Corp n’est pas une exception : les cadres des sociétés minières sont souvent sur la liste des dirigeants les mieux payés. Une étude récente montre que sur le top 100 des PDG canadiens les mieux payés, 19 sont dans le secteur minier – les moins bien payés gagnent plus de 4 millions de dollars en 2010.

Les peuples indigènes et la RSE

Partout au Canada, des communautés indigènes luttent pour exercer leur autorité sur leurs territoires. Alors que certains traités modernes ont permis de clarifier leur situation et de résoudre certains conflits, une grande partie du pays reste disputée. Les peuples indigènes du Canada ont obtenu la reconnaissance de l’obligation pour les gouvernements de les consulter et de tenir compte de leurs intérêts lorsqu’ils élaborent des plans ou des décisions concernant les projets de développement majeurs comme les mines. Cela a contraint les sociétés minières à essayer de négocier leurs projets avec les peuples indigènes dont ils occupent la terre et nombre de projets ont avancé avec le soutien des peuples indigènes concernés.

Les « accords impact-bénéfice » (IBA) destinés à dédommager les communautés indigènes des impacts sur leur territoire et à obtenir un « permis social » pour le projet deviennent une partie intégrante de l’évolution de l’exploitation minière.

L’IBA et d’autres accords similaires ont amélioré les effets économiques de l’exploitation minière pour les peuples indigènes et dans certains cas ont contribué à accroître leur contrôle et leur autorité dans leur territoires. Les communautés font face à d’importants défis, cependant, en négociant ces accords, sans normes minimales et sans divulgation des détails des accords, ils dépendent en grande partie du pouvoir de négociation des différentes nations et de leurs avocats. Les processus de ratification des accords et leur utilisation comme indicateur d’acceptabilité sociale et de consentement ont également été remis en question. Dans certains cas, les communautés ont signé un accord parce qu’elles sentent qu’elles n’ont que peu de choix, qu’un projet sera poursuivi de toute façon, et que donc elles pourraient tout aussi bien essayer d’en tirer bénéfice. En outre, les entreprises ne viennent pas toutes à la table de bonne foi ou de leur propre gré, et certaines doivent être poussées à le faire par le biais de la réprobation du public, de blocus et d’actions en justice afin d’engager des consultations, en particulier pendant la phase d’exploration minière.

Alors que la négociation d’accords peut être difficile, les peuples indigènes doivent surmonter des obstacles encore plus grands quand ils choisissent de s’opposer à l’exploration minière ou à des projets miniers sur leur territoire. Le droit des peuples indigènes au « consentement libre, préalable et éclairé » à un projet, même si celui-ci pourrait avoir des impacts directs et profondément négatifs sur leur communauté, n’est pas respecté par l’industrie. Certaines entreprises ont choisi d’abandonner le projet dès les premiers stades lorsqu’elles sont confrontées à l’opposition, mais le plus souvent elles persistent. Le projet de « New Prosperity» de Taseko Mines Ltd illustre bien cela. En dépit d’un rejet antérieur du projet par le biais d’un processus d’évaluation environnementale, Taseko persiste à faire avancer son projet, contre l’opposition du gouvernement de la nation Tsilhqot’in.

Ce conflit n’est malheureusement pas le seul. En 2006, des conflits miniers en Ontario ont entrainé l’emprisonnement de 6 dirigeants de la communauté Oji-Cree de Kitchenuhmaykoosib Inninuwug et du chef des Algonquins Ardoch. Depuis, l’Ontario a changé la loi sur les mines et y a inclu des clauses concernant les consultations, mais les conflits se poursuivent.

Normes volontaires vs. régulation

Un élément clé du programme RSE du secteur minier sont des normes volontaires que l’industrie adopte pour démontrer qu’elle fait des efforts pour améliorer ses performances. En même temps, elle plaide activement contre les exigences exécutoires réglementaires qui seraient contraignantes et auraient de réelles conséquences si elles n’étaient pas appliquées. Les efforts intensifs de lobbying menés par l’industrie contre le projet de loi C-300 en sont un exemple récent. Il s’agit d’un projet de loi relativement modeste, qui bénéficiait d’un large soutien de la société civile canadienne et qui aurait contraint le gouvernement fédéral à rendre des comptes pour son soutien aux compagnies minières opérant dans les pays en développement. Des représentants de l’industrie ont favorisé une réponse édulcorée du gouvernement qui a opté pour la publication d’un rapport de la table-ronde sur la RSE de 2007. Le cadre de la politique du gouvernement énoncée dans « Construire l’avantage canadien » ne comporte pas d’exigences contraignantes ni de sanctions. Comme cela s’est passé pour le vote final sur le C-300, des groupes d’industries ont lancé une grande offensive politique et médiatique contre le projet, qui a échoué de justesse.

Un exemple souvent cité de ‘best practice’ est celui de l’initiative Towards Sustainable Mining (TSM) de l’Association minière du Canada. Des normes et des rapports sont obligatoires pour les membres, mais ils représentent moins de la moitié des mines exploitées en Canada. Les exigences du TSM concernent avant tout le développement de processus de gestion, plutôt que des résultats concrets. Par exemple, les indicateurs de performance de gestion des résidus sont : « la politique de gestion et d’engagement, le développement du système de gestion, la responsabilité assignée, l’examen annuel de gestion, et un manuel d’exploitation, d’entretien et de surveillance ». Comme il n’existe pas de normes pour des questions clés comme la qualité des eaux rejetées par les installations, ils ne peuvent servir qu’à compléter des règlements environnementaux.

Quand il s’agit de normes environnementales dures et contraignantes, l’industrie a réussi à empêcher l’élaboration de règlements qu’elle considère comme trop lourds ou trop coûteux. En 2002, lorsque le gouvernement fédéral a revu les règlements sur les effluents[3], l’industrie a réussi à convaincre le gouvernement de ne pas baisser les limites admissibles de métaux dans les effluents miniers, malgré le fait que les limites soient obsolètes et moins strictes que celles d’autres juridictions ou celles qu’un rapport de consultants juge réalisables. Parce que ces limites sont mal définies, des mines au Canada ont été pointées du doigt pour illustrer les effets négatifs sur les poissons en aval et sur leur habitat, malgré qu’elles soient largement conformes à la réglementation.

Le secteur minier a également fait pression contre la législation sur les évaluations environnementales et la protection de l’habitat du poisson qu’il prétendait être des réglements lesquelles inutilement retardés le developpement des projets.  Le courant favorable à l’industrie au sein du gouvernement conservateur a récemment procédé à une refonte majeure de ces actes et a abandonné des pratiques anciennes de consultations publiques et de processus parlementaires, en ramassant la législation dans un projet de loi budgétaire fourre-tout. L’industrie a félicité le gouvernement pour ces changements.

Conclusion

Les programmes de RSE menés par des compagnies minières au Canada ont probablement contribué à apporter des améliorations progressives dans leurs performances environnementales et sociales, et les entreprises fournissent plus d’informations au public que par le passé. Cependant, comme on le voit avec les déclarations de Potash Corp qui se plaint de ne pas avoir le moindre effet sur les communautés locales – les déclarations faites dans leur rapport ne sont pas toujours fiables. Comme il est à prévoir avec les entreprises privées, leur générosité est principalement destinée à leurs dirigeants et actionnaires, et non pas aux communautés dans lesquelles elles opèrent ni à la société canadienne et aux contribuables. L’implication des peuples indigènes dans l’industrie minière a apporté de nouvelles opportunités mais aussi des risques considérables et il est urgent de mettre en place des processus contraignants plus clairs pour la prise de décision et d’assurer le respect des droits des peuples indigènes, y compris le « consentement libre, préalable et informé ». Qu’il s’agisse de fiscalité, de responsabilité au niveau international ou de normes environnementales et de processus de contrôle, l’industrie est en mesure d’exercer son influence sur les gouvernements et a réussi à contenir les efforts pour étendre ou renforcer les réglementations obligatoires. Et ce malgré le fait que d’autres mesures volontaires mises au point dans le cadre propre à l’Association minière ne peuvent être efficaces que dans le contexte d’un régime réglementaire solide. Compte tenu de ces réalités, les déclarations de l’industrie se disant responsable sonnent plus comme du blanchiment écologique que comme une exploitation minière verte…


[1] « Vers l’exploitation minière durable ». Voir http://www.mining.ca/site/tsmprogressreport2011/index.html (NdT).

[2] Il s’agit de principes d’exploration minérale responsable. Voir http://www.pdac.ca/e3plus/French/pg/index.aspx (NdT).

[3] Le terme « effluent » désigne les eaux qui sortent d’un site minier (NdT).